Depuis que j’ai eu la chance d’enseigner, j’ai appris beaucoup. J’avais une certaine frustration à être seulement un chercheur d’apnées et un prescripteur de PPC, ce qu’aspirent le plus souvent les élèves médecins au début de leur formation. Ils sont impatients, à l’affut de recettes faciles pour diagnostiquer le plus de malades possible avec les techniques les moins contraignantes.
Or le sommeil, je l’ai appris après mes études, est une entité complexe intriquée avec de nombreuses fonctions physiologiques, dont l’objectif principal est la bonne qualité de l’éveil ; soit être en forme, le matin et tout le long de la journée. Un défi quotidien, un état souvent non réalisé qui est à l’origine de nombreux motifs de consultations.
Autrefois le sommeil se terminait avec le lever du soleil. Pas d’autres variations que celles progressives et adaptables des saisons, une vie simple et un taux d’insomnie d’environ 2% chez les chasseurs-cueilleurs contemporains vivant encore de manière traditionnelle (1). Depuis 2 siècles en occident, depuis l’ère industrielle dont les Britanniques ont supporté en premier les effets en Europe, l’obligation de travailler a été à l’origine de nombreux et brusques changements, notamment celui de se réveiller « à l’heure ». Pour ce faire sont apparus dans les villes anglaises les “knocker-uppers” ou “cogneurs”, personnes payées pour réveiller les ouvriers des villes avant la multiplication des réveils et la vulgarisation des smartphones. A Londres assombries par le « Fog » de cette époque, aucune chance d’être réveillé par le soleil. A la campagne, il y avait bien le chant du coq ou le meuglement des vaches qu’il fallait traire au petit matin, tous les matins, mais en ville le travail à l’usine en équipe contraignait à ne pas être en retard.
Pourquoi dormons-nous ? Parce qu’on est fatigué et parce c’est l’heure ! Tout est dit !
Une idée répandue est que le sommeil est une fonction cruciale du cerveau qui est nécessaire à sa « recharge ». Lorsque nous ne dormons pas suffisamment, notre cerveau et notre corps ne peuvent pas fonctionner correctement. Un déficit de sommeil à long terme par exemple peut entraîner une démence (2). Une longue période sans sommeil, chacun de nous l’aura un jour ou l’autre expérimenté, est donc un comportement préjudiciable à la santé et à la qualité de vie.
Une durée insuffisante de sommeil a été associée (3-4) à sept des quinze principales causes de décès (maladies cardiovasculaires, cancers, maladies cérébrovasculaires, accidents de la route, diabète, infections et hypertension). Les personnes qui dorment moins de 6h00 par nuit seraient entre 6 à 18% dans une étude de 2017 sur les habitudes de sommeil dans 4 pays occidentaux et au japon (3). Cela est important mais cette théorie demeure incomplète et insuffisante pour expliquer le pesant fardeau que représentent actuellement les pathologies chroniques. Il y a bien sur d’autres facteurs de risque (obésité, sédentarité, drogues) mais en ce qui concerne les causes liées au sommeil il est intéressant d’approfondir et de comparer nos habitudes avec celles d’autres populations soumises à des modes de vie différents des nôtres. J
erome M. Siegel et ses collègues ont étudié plusieurs populations de chasseurs-cueilleurs contemporains (5) sur 2 continents (Afrique et Amérique du sud) et ont observé que :
À certains égards, le sommeil de ces groupes traditionnels ressemble plus au sommeil des habitants des sociétés industrielles qu'on ne le pensait. Ils ne dorment pas plus ! Leur sommeil est monophasique ce qui contraste avec le sommeil bimodal décrit avant l’ère moderne en Europe (probablement du fait de nuit plus longues notamment en hiver dans l’hémisphère nord).
Plus important, il n'a pas été décrit de désynchronisation du sommeil considérée comme un schéma malsain, avec des heures de lever et de coucher variable que pratiquent les occidentaux de notre époque (avec retard de phase d’éveil le week-end par exemple).
Alors pourquoi (et comment) nous réveillons-nous ? Inspiré par ce qui a été écrit ci-dessus, une réponse inverse à la question précédente, (pourquoi dormons-nous ? - parce qu’on est reposé et parce que c’est l’heure), ne résisterait pas aux justes critiques de lecteurs qui ont compris qu’entrer ou sortir du sommeil est soumis à de nombreux mécanismes biochimiques, à notre environnement et à des habitudes et à des rituels spécifiques.
Développons ces mécanismes dans la 2ème partie !
Philippe Guérin