Comment se réveille-t-on ? 2ème partie


Comment se réveille-t-on ?  2ème partie

Dans la première partie nous avons exploré à partir de la comparaison de populations de chasseurs-cueilleurs et de celles de nos sociétés contemporaines occidentales, nos habitudes et nos différences en matière de sommeil (1). 

Dans tout le règne animal le sommeil semble être régulé de manière homéostatique c’est-à-dire que la « privation de sommeil est obligatoirement suivie d'un sommeil de « récupération » plus long que d'habitude la nuit suivante. Il s’agit de comportements possibles plus facilement à notre époque et dans nos sociétés contemporaines. 

Nous pratiquons régulièrement en fin de semaine (ce que les peuples de chasseurs-cueilleurs ne semblent pas faire) ces repos « compensateurs ». Ce point est primordial pour expliquer les pathologies contemporaines à type d’insomnie, de décalage de phase de sommeil ou de simple fatigue qui dominent nos consultations. La variation quotidienne de la durée du sommeil plus que sa diminution expliquerait un excès de mortalité toute causes confondues des patients concernés (2). Désynchronisation et variation du sommeil définissent assez fidèlement les éléments majeurs du travail posté que subissent environ 20% des travailleurs en France.

J’habite dans le Cantal ou je consulte depuis maintenant plus de 10 ans. Depuis 2 à 3 ans, j’ai eu la surprise de voir et de traiter de plus en plus souvent des ouvriers-ères d’une fabrique de maroquinerie pour des problèmes de sommeil, d’obésité ou de dépression, les trois étant souvent associés. J’ai appris récemment que des heures de travail « nocturnes » avaient été mises en place cinq ans auparavant. 

En sachant que les troubles du sommeil sont à l’origine de complications graves et handicapantes et qu’ils représentent un cout d’environ 50 milliard d’euros par an en France, le constat d’une « fabrique » de nouveaux malades est révoltant, tout cela afin de produire des sacs de luxe. 

Être pompier, infirmière, médecin ou policier et prendre des gardes et des astreintes, cela peut se comprendre (et encore, le moins souvent possible) mais imposer des rythmes « tournants » chaque semaine à des « opérateurs en maroquinerie de luxe » qui ne seront même pas payés plus (le travail à partir de 5h00 du matin n’est pas considéré comme un travail de nuit), c’est les condamner à des maladies chroniques sévères et à une espérance de vie plus courte. Il est important de condamner ces pratiques en France bien sûr mais aussi partout dans le monde. Nous faisons souvent le contraire en achetant certains produits venant d’Asie ou d’Afrique, et ...de France.

Fort de ce constat de pratiques extrêmement néfastes, contraintes ou non, tentons de décrire les fins mécanismes qui nous permettent de nous réveiller en forme :

  • Partir du postulat que la pression du sommeil est au plus bas (sous réserve d’un sommeil suffisant et de qualité) ne semble pas forcément inconcevable et il a été montré que les récepteurs neuronaux à l’Adénosine sont complètement libres à la fin de la nuit (3). C’est le premier mécanisme facilitant le réveil.
  • Le concept de régulation circadienne fait intervenir le noyau suprachiasmatique (NSC) de l'hypothalamus dont le fonctionnement module sur un rythme de 24h00 chacune de nos cellules, notamment celles du cerveau au niveau de zones stratégiques. Celles-ci activent lors de l’éveil les neurones producteurs d'acétylcholine, de sérotonine, de dopamine et d’histamine. Ces neurones sont les plus actifs pendant l'éveil, préparant la personne à l’action.
  • Dans le même temps, dans l’hypothèse d’un sommeil régulier et de qualité, le taux de cortisol est au maximum et celui de l’insuline au plus bas augmentant ainsi le taux de sucre dans le sang.
  • La température corporelle augmente
  • Enfin, si les rayons du soleil sont accessibles jusqu’au lit de la personne qui souhaite se réveiller en forme, la production de mélatonine, protectrice du sommeil, se tarit.

Ainsi de nombreux processus doivent être finement synchronisés pour assurer des réveils quotidiens satisfaisants. Les retards ou avancées de phases, les réveils nocturnes dans le cadre de troubles respiratoires, de stress chroniques ou de douleurs, empêchent ces mécanismes. Un bon sommeil demande des habitudes et des rituels quotidiennement respectés.

La recherche de troubles respiratoires peut se faire à minima par les examens polygraphiques ventilatoires. Il n’en est pas de même pour les autres anomalies du sommeil. L’importance de l’interrogatoire, l’élimination de facteurs déclenchants évidents mais surtout les analyses polysomnographiques seront à même de dépister aussi bien les troubles neurologiques que respiratoires par l’analyse précise de la qualité, de l’efficacité et de la quantité du sommeil. 

La tendance de borner les horaires de sommeil nous fait perdre souvent de précieux renseignements sur les façons de s’endormir mais encore plus souvent sur les circonstances du réveil. Une analyse complète pendant 12h00 garantit tout aussi bien l’entrée dans le sommeil que le réveil, deux étapes cruciales pour comprendre les mécanismes tant physiologiques que pathologiques du sommeil.

Ne soyez pas des « chasseurs » d’apnées ! Formez-vous convenablement (si vous ne vous sentez pas à l’aise avec les explorations neurologiques), ajoutez quelques capteurs à votre polygraphe et donnez-vous un peu de temps pour assurer votre expérience : ce sont les 3 étapes indispensables pour diagnostiquer la plupart des pathologies du sommeil, les prévenir et les traiter.

  1. Natural sleep and its seasonal variations in three pre-industrial societies Gandhi Yetish, Hillard Kaplan, Jerome M. Siegel and Col. Curr Biol. Author manuscript; available in PMC 2016 Nov 2.
  2. Day-to-day variation in sleep duration is associated with increased all-cause mortality.Katamreddy A, Uppal D, Ramani G, et al.. J Clin Sleep Med. 2022;18(3):921–926.
  3. Sleep homeostasis and the circadian clock: Do the circadian pacemaker and the sleep homeostat influence each other's functioning? Deboer T. Neurobiol Sleep Circadian Rhythms. 2018 Mar 1;5:68-77.
  4. CONTROL OF SLEEP AND WAKEFULNESS. Ritchie E. Brown and Col. Physiol Rev. 2012 Jul; 92(3): 1087–1187.